Renald Lubérice sonne l’alarme : la disparition de l’armée, un suicide national pour Haïti


Dans sa Lettre du 9 octobre 2025, Renald Lubérice signe un texte magistral sur la disparition de l’armée haïtienne, qu’il considère comme le point de rupture ayant précipité l’effondrement de l’État. À travers une analyse historique et politique percutante, l’ancien secrétaire général du Conseil des ministres décrit comment, en supprimant l’armée, Haïti s’est privée de sa mémoire, de sa discipline et de son squelette institutionnel.

Par Donald Métellus | Port-au-Prince, 10 octobre 2025 –

Dans sa Lettre du 9 octobre 2025, l’intellectuel haïtien Renald Lubérice signe un texte d’une intensité rare. Sous le titre évocateur « Destruction de l’armée d’Haïti ou le coup fatal à la Nation haïtienne », il revisite, avec une profondeur historique et une rigueur analytique, l’un des drames institutionnels les plus lourds de conséquences : la disparition des Forces Armées d’Haïti.

Lubérice le rappelle avec insistance : l’armée haïtienne ne fut pas qu’un appareil de coercition. Elle fut d’abord « l’architecture première de l’État », la matrice même où s’est forgée la nation. De 1804 aux années 1990, la discipline militaire a servi de colonne vertébrale à la République, garantissant l’ordre, la continuité et la souveraineté.

Au-delà des fusils et des uniformes, l’armée était un instrument de développement : ingénieurs, médecins, techniciens, garde-côtes, musiciens… Tous participaient à l’édification d’un État en marche. Le décret du 12 mars 1962, qui définissait ses multiples services, en témoigne encore comme une pièce d’archives d’une modernité stupéfiante.

Lubérice déplore la disparition tragique des archives militaires, rapports, correspondances, budgets, qui constituaient une part précieuse de la mémoire de l’État haïtien. Ces documents tenaient lieu d’archives nationales dans un pays où les registres civils s’effondraient.

Mais tout a basculé en 1995. Sous pression internationale, le pouvoir d’alors a démobilisé les Forces Armées, croyant effacer la peur. En réalité, dit-il, « on a désarmé l’État ».

Des milliers de soldats se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, sans pension ni reconnaissance, tandis que les casernes étaient pillées et les archives détruites. Le vide ainsi créé fut aussitôt comblé, non par la paix, mais par le chaos.

Le constat est implacable : la disparition de l’armée a ouvert la voie à la montée des gangs et à la décomposition sécuritaire. Dès 2004, Amnesty International notait déjà la résurgence de réseaux armés d’anciens militaires.

Lubérice cite le politologue Ricardo Augustin pour souligner que « les germes du désordre se sont mués en économie criminelle ». Haïti, vidée de sa force régulatrice, a perdu le monopole de la violence légitime. La République s’est effondrée sur elle-même, tandis que les armes illégales remplaçaient l’autorité de l’État.

Dans un passage au ton acerbe, Lubérice dénonce « la victoire silencieuse de la politique du ventre ». Sans armée, dit-il, plus rien ne retenait l’élite économique et politique de sa frénésie prédatrice. L’État, désormais sans colonne vertébrale, est devenu « un comptoir de privilèges géré par ceux qui mangent pendant que la nation jeûne ». Le verdict est sans appel : la disparition des Forces Armées a accéléré la transformation du pays en jungle sociale, où règnent les appétits et la peur.

Sans nostalgie inutile, l’auteur propose une voie de rédemption. Il plaide pour une reconstruction rationnelle et républicaine de l’institution militaire, non pas pour dominer, mais pour servir.

« Il faut rebâtir une armée républicaine, non pour opprimer, mais pour protéger ; non pour gouverner, mais pour appuyer », écrit-il.

Selon lui, cette nouvelle force devrait renouer avec les valeurs de service public, de discipline et de mémoire collective, en recréant les services de génie, de santé et de garde-côtes jadis emblématiques de l’armée nationale.

La conclusion de Lubérice résonne comme un appel au sursaut : « Restaurer l’armée, c’est restaurer la République ; c’est redonner au peuple le droit de se tenir debout, face au monde, et de dire encore : “Nous sommes une Nation.” »

Dans un pays où la violence gangrène chaque ruelle, où l’État chancelle et la mémoire s’efface, son plaidoyer sonne comme une évidence : sans force organisée, sans discipline et sans mémoire, il ne reste qu’un territoire livré aux prédateurs.

Donald Métellus 

Rédaction de StandardMania 
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