Haïti en panne de “nous” : l’échec du Conseil présidentiel ou le triomphe des égos


Éditorial de StandardMania | Par Rose-Myrlène Joachim

Port-au-Prince, 21 octobre 2025 –

Le Dr Renald Lubérice n’a pas mâché ses mots dans sa dernière "Lettre de Lubérice" du 20 octobre 2025. En scrutant les errances du Conseil présidentiel de transition, il dresse un constat d’une honnêteté brutale : Haïti n’a pas un problème de compétences, mais un problème de relations. Et c’est peut-être là la plus grande tragédie de notre vie publique.

Plus d’un an après sa création, ce Conseil censé symboliser la collégialité et le dialogue n’a offert au peuple qu’un spectacle de désunion. Neuf têtes, aucune voix. Neuf profils de haut niveau, économistes, diplomates, ingénieurs, juristes, militants, entrepreneurs, mais incapables de se parler sans se méfier. Le savoir individuel s’est mué en vanité collective. Le Conseil présidentiel n’a pas été un espace de concertation, mais un ring politique où l’ego de chacun voulait primer sur l’intérêt commun.

Depuis deux siècles, Haïti produit des cerveaux brillants mais peine à produire du sens commun. Nos élites s’affrontent pour le prestige, pas pour le progrès. Pierre Bourdieu parlait de “lutte pour le capital symbolique” : ici, chaque acteur veut exister par distinction, jamais par interdépendance. Cette pathologie relationnelle, Renald Lubérice la décortique avec rigueur. Ce qui mine nos institutions n’est pas l’incompétence, mais la peur de l’autre. Et dans un pays où la méfiance est devenue culture politique, aucune intelligence collective ne peut naître.

Le Conseil présidentiel n’est pas une anomalie : il est notre reflet. Dès l’école, on apprend à se comparer plutôt qu’à collaborer. Dans les partis, la loyauté est rare ; dans les institutions, la parole est arme, jamais pont. Nous rêvons d’un État fort, mais nous refusons les fondations de la confiance. Nous voulons un chef, pas une équipe ; une victoire individuelle, pas un progrès partagé.

Haïti, dit Lubérice, n’a pas besoin de plus de techniciens, mais de plus de liens. Et il a raison : tant que nous n’apprendrons pas à conjuguer nos forces, nous resterons un pays d’intelligences isolées.

Il est temps de comprendre que la reconstruction nationale ne sera pas technique, mais relationnelle. Il faut une révolution du lien, de la parole, de l’écoute.

Le pouvoir ne doit plus être une arène où l’on s’affirme contre l’autre, mais un espace où l’on bâtit avec l’autre. Cette transformation, si simple en apparence, demande pourtant un courage que peu de dirigeants osent incarner : celui de coopérer sincèrement.

Lubérice conclut avec une phrase qui devrait hanter chaque citoyen : “Nous avons les savoirs, les talents, les ressources. Il nous manque la qualité du ‘nous’.”

Voilà la vérité nue. Nous ne manquons pas d’experts, de diplômes ni de discours. Nous manquons d’un esprit collectif capable de dépasser les clivages. Tant que le pouvoir restera un butin et non une responsabilité, aucune transition ne tiendra, aucun Conseil ne réussira, aucune République ne durera.

Cet éditorial n’est pas un réquisitoire, mais un appel. Haïti ne se relèvera ni par miracle ni par technocratie, mais par un changement profond de mentalité. C’est à nous, citoyens, de refuser la division, de réclamer le dialogue, d’exiger la coopération. Le jour où nous aurons le courage de dire “nous” sans craindre de perdre le “moi”, ce jour-là, Haïti commencera enfin à guérir.

Rose-Myrlène Joachim, PhD

Éditorialiste

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